La sécurité axée sur le comportement
Qu’est exactement la sécurité axée sur le comportement$nbsp?
Quels sont les risques des SACs$nbsp?
Que peut-on faire pour contrôler les SAC$nbsp?
La sécurité axée sur le comportement : un jeu dangereux
Le jeu consiste à donner des cartes de bingo à un service au complet. Le jeu dure jusqu’à ce qu’un accident ou une maladie professionnelle soit déclarée. À ce moment-là, chacun remplit ses cases et le jeu recommence. Imaginez un instant la pression exercée sur le pauvre travailleur qui a un doigt tranché ou souffre de n’importe quelle sorte de blessure, afin qu’il ne déclare pas l’accident, parce qu’un collègue est près de remporter la mise et de gagner le gros lot (un magnétoscope ou un four à micro-ondes).
Quelque chose de familier là-dedans? Rien d’étrange à cela puisque les scénarios tels que celui-ci sont de plus en plus fréquents, augmentant même dans des proportions alarmantes. De plus en plus d’entreprises adoptent en effet des programmes de sécurité axés sur le comportement dans leur arsenal santé et sécurité au travail. Les TUAC Canada s’opposent à ce type de programme censément axé sur la santé et la sécurité car ils encouragent les travailleurs à s’espionner et aident les entreprises à perpétuer des milieux de travail dangereux.
Au lieu de rechercher les causes de l’accident ou de la blessure, l’on réprimande le travailleur pour avoir travaillé sans sécurité, en ne portant pas son équipement de protection individuel (EPI), ou alors, au lieu de déterminer d’où une fuite d’huile provient, on le blâme pour ne pas avoir porté les bonnes chaussures. Ces types de programmes mis en place sous divers noms, ont pour but commun d’épargner de l’argent à la compagnie et, en ne déclarant pas les accidents, de faire baisser leurs tarifs de primes d’indemnisation.
De la même façon, les lésions attribuables au travail répétitif, le stress, la violence au travail, les accidents mortels et les maladies professionnelles sont en constante augmentation et cela dans des proportions inquiétantes. Les heures de travail perdues générées par les accidents en milieu de travail et les maladies professionnelles coûtent des millions de dollars chaque année aux entreprises qui, poussées par leur désir de couper dans les coûts, incorporent des programmes de sécurité axés sur le comportement – programmes qui font basculer la responsabilité de la santé et de la sécurité au travail de l’employeur vers les travailleurs.
Les travailleurs sont censés se baisser la tête et se jeter de côté instinctivement pour éviter les coups, se tasser à l’abri du danger, soulever des poids de façon sécuritaire, porter de l’équipement de protection individuel (EPI) et se concentrer sur leur travail en cours. De tels programmes sapent la santé et la sécurité au travail en déniant la responsabilité de l’employeur imposée par la loi et redirigent l’attention vers les travailleurs qui, dans la plupart des cas, ont peu ou rien à voir avec le choix de la machinerie ou des procédés, ni avec la mise en oeuvre des méthodes ou des procédures.
En choisissant une approche en matière de sécurité axée sur le comportement des travailleurs, les promoteurs de tels programmes animent le vieux mythe du « travailleur négligent ». Un sondage récent, commandé par le Centre de santé et sécurité des travailleurs et travailleuses, montre que 36 % des travailleurs de cette province ont malheureusement intégré cette vieille croyance et croient que maladies et accidents résultent d’actions dangereuses de leurs collègues plutôt que d’un milieu de travail non sécuritaire.
Herbert W. Heinrich
L’idée que les travailleurs sont à blâmer pour les accidents survenant en milieu de travail n’est pas nouvelle. Elle tire son origine des recherches discutables faites par Herbert W. Heinrich, un enquêteur d’assurances, dans les années 1930-1940. Heinrich qui travaillait pour la compagnie d’assurances américaine Travelers, examinait des déclarations d’accidents rédigées par des cadres de la compagnie. Dans ces documents, les cadres blâmaient les travailleurs pour la plupart des accidents et maladies professionnelles. En se basant sur ces rapports, Heinrich en a conclu que 88 % des accidents professionnels avaient pour cause des « comportements dangereux ». Pour enfoncer, littéralement, le couteau dans la plaie, il en a aussi conclu que « le milieu d’origine et l’environnement social » étaient également des facteurs significatifs dans la survenance des accidents. La plupart des programmes actuels axés sur le comportement sont des versions mises à jour des recherches d’Heinrich.
Qu’est exactement la sécurité axée sur le comportement ?
La sécurité axée sur le comportement (SAC) se réfère à une vaste gamme de programmes qui met l’accent sur le comportement des travailleurs comme cause de la plupart des accidents et maladies liés au milieu de travail. Ces programmes sont couramment utilisés dans de nombreux secteurs d’industrie allant de la construction et de l’industrie automobile jusqu’à la transformation des aliments et à l’industrie sidérurgique. Se basant sur les principes de la psychologie du comportement, aussi connue sous le nom de modification du comportement, la SAC est une technique destinée à modifier le comportement des travailleurs dans le but de les faire travailler de manière sécuritaire.
Ainsi, au lieu d’enquêter sur les causes originelles des maladies et des accidents dans le but d’identifier les risques, puis de les éliminer ou de les réduire, les programmes SAC « encouragent » fortement les travailleurs à être attentifs aux risques afin d’éviter de s’y exposer, alors que ces risques auraient dû être prévenus en premier lieu par des mesures adéquates. Les mesures incitatives, telles que les soirées pizza durant les quarts de nuit, les jeux de bingo et les blousons gratuits, constituent des sortes de « privilèges » que l’employeur utilise pour inciter les travailleurs à travailler de manière sécuritaire.
Les programmes sont originaires des États-Unis mais sont désormais en pratique partout dans le monde. Certaines entreprises chefs de file dans leurs domaines les ont adoptés, comme :
- Dupont (the Dupont STOP program),
- Behavioral Science Technologies (BST),
- Aubrey Daniels International (ADI - SafeR+ program), et
- Safety Performance Solutions (Total Safety Culture program).
Même si des différences apparaissent derrière le nom de ces différents programmes, la plupart comportent de nombreux éléments communs :
- Renforcements positifs (évaluations avantageuses, prix, récompenses) ou négatifs (si tu n’évites pas les situations dangereuses, tu auras un test de dépistage des drogues) ou discipline (renvoi), selon le programme, à la suite de telles « observations ».
Ces programmes peuvent être attrayants pour les travailleurs parce qu’il y a une affectation de ressources et qu’elles sous-tendent, semble-t-il, un nouvel engagement de la part de l’employeur à assurer la santé et la sécurité des employés. Ces programmes impliquent aussi, à un certain degré, une participation des travailleurs qui leur donne un certain pouvoir de gestion; et traitent certaines causes d’accidents et de maladies; et enfin, les travailleurs observateurs ont leur propre bureau et bénéficient d’un répit de leur travail.
Une autre marque distinctive des programmes de sécurité axée sur le comportement est la présence de primes de sécurité ou de programmes de prix de sécurité. Les programmes de prix de sécurité offrent des « prix » ou « récompenses » aux travailleurs ou groupe de travailleurs, pour les encourager à travailler de manière sécuritaire. Les prix vont des simples blousons et chopes à café, au chèque-cadeau et repas gratuits, banquets, argent comptant, congés autorisés payés, ordinateurs ou camionnettes pour n’en nommer que quelques-uns. Une compagnie a même été jusqu’à offrir un bateau à moteur et une remorque qu’elle avait fait garer devant l’entrée principale, comme rappel visuel de son programme de sécurité au travail.
Quels sont les risques des SACs ?
Peurs et sous-déclarations
Les primes de sécurité créent une atmosphère de peur et d’intimidation dans le milieu de travail. Si les travailleurs ou groupes de travailleurs se concurrencent en vue de gagner des Prix de sécurité, ils font souvent l’expérience de pressions de leurs pairs pour ne pas déclarer les accidents. Ne pas déclarer une blessure peut avoir de lourdes conséquences pour le travailleur blessé. Il est particulièrement important que des accidents, tels les accidents au dos qui peuvent revenir à la surface au fil du temps, fassent l’objet d’une déclaration.
Dans certains cas, les travailleurs prennent des jours maladie ou des jours de vacances plutôt que d’accepter les indemnités d’accident du travail (CAT, CSPAAT) et de gâcher pour leur équipe l’occasion de gagner les prix de sécurité. D’autre part, l’absence de déclarations d’accidents fait baisser artificiellement le taux de fréquence de ces accidents. La compagnie peut alors montrer à son siège social une amélioration de son rendement en matière de sécurité, alors que les véritables chiffres sont passés sous silence.
Les programmes de discipline en matière d’accidents de travail sont le revers des programmes de primes de la sécurité. Lorsque qu’un travailleur a un accident, le blâme lui retombe dessus pour ne pas avoir travaillé de manière assez sécuritaire. La discipline peut alors devenir la réponse automatique aux accidents du travail. Ces programmes/politiques préconisent des conséquences négatives telles le dépistage automatique des drogues, des séances de counselling, des avertissements verbaux ou écrits, une suspension ou un congé sans paye, et même la cessation d’emploi.
Tout comme les prix de sécurité, les programmes de discipline des accidents de travail n’entraînent aucune amélioration de la santé et de la sécurité au travail. Ils servent essentiellement à décourager les travailleurs de déclarer les accidents du travail et de remplir des demandes d’indemnisation. Lorsque ces accidents ne sont pas déclarés, les travailleurs ne peuvent pas obtenir les soins médicaux dont ils ont besoin, et les risques qui sont la cause de ces accidents ne peuvent pas être identifiés et corrigés.
Le programme de discipline des accidents de travail actuellement populaire aux États-Unis est l’« Accident Repeaters Program » (Programme pour les polyaccidentés). Ce programme permet à la compagnie d’identifier les travailleurs sujets à un certain nombre d’accidents successifs (habituellement un ou deux à l’intérieur d’une période de 12 à 24 mois), de les envoyer en counselling s’ils déclarent un autre accident, de leur donner un avertissement écrit en prévision d’un accident ultérieur, puis de les suspendre en cas de nouvel accident et, enfin, de mettre fin à leur emploi s’ils déclarent encore un accident.
Un autre programme de discipline populaire attribue, selon une méthode de qualification par points, un point pour les accidents déclarés et/ou les demandes d’indemnisations remplies. Un point est également attribué à un accident qui requiert uniquement des soins médicaux et aucune absence du travail, et cinq points à un accident qui entraîne une absence du travail. Lorsqu’un travailleur atteint 30 points, il est renvoyé.
Les risques restent non-réglés
Alors que les promoteurs des SAC obtiennent quelques succès dans la réduction des accidents mineurs, l’approche du « blâme attribué au travailleur » n’affecte en rien le nombre d’accidents dangereux, pas plus qu’il n’affecte les maladies professionnelles, ni la dégradation de l’environnement.
Ces accidents et maladies sont causés par l’exposition des travailleurs aux risques présents dans le lieu de travail. Les risques dans le lieu de travail peuvent être éliminés ou réduits par leur identification, leur évaluation et l’exposition contrôlée des travailleurs à ces risques. La méthode pour sélectionner les mesures de contrôle les plus efficaces est comprise dans ce qui est couramment appelé une hiérarchie des contrôles. La hiérarchie des contrôles est la suivante :
- Élimination ou substitution;
- Application de techniques de sécurité;
- Mises en garde;
- Formation et procédures; et
- Équipement de protection individuel.
Les contrôles peuvent aussi être décrits selon leur lieu/moment d’application :
- À la source (élimination, substitution et application de techniques de sécurité);
- Durant le travail (mises en garde, ventilation, barrières); et
- Au poste de travail (EPI, organisation du travail; formation et procédures).
L’élimination des risques est considérée comme le moyen le plus efficace de traiter le problème de la santé et de la sécurité au travail, l’équipement de protection individuel étant considéré comme la méthode la moins efficace. Les promoteurs des programmes axés sur la sécurité ne soutiennent évidemment pas la hiérarchie des contrôles pour réduire ou éliminer les risques parce qu’elle contredit leur théorie que 95 % des accidents sont causés par les comportements dangereux des travailleurs eux-mêmes.
Au lieu de cela, ces programmes assurent une hiérarchie inverse, appliquant les contrôles les moins efficaces et des niveaux les moins élevés, tels les procédures de sécurité et les EPI, plutôt que de contrôler les risques à la source. Ainsi, « rester en dehors des zones dangereuses » remplace une sauvegarde efficace. Une position du corps appropriée remplace un bon programme d’ergonomie permettant l’adaptation des outils, des postes de travail et du travail aux employés. Et l’équipement de protection individuel devient un substitut à la lutte contre le bruit, aux contenants de produits chimiques, à la ventilation, et à la réduction de l’emploi des produits toxiques.
Que peut-on faire pour contrôler les SAC ?
Les programmes de sécurité axés sur le comportement affaiblissent les succès en matière de sécurité durement gagnés par les travailleurs, et les découragent de prendre une part plus active dans le syndicat. Un certain nombre de syndicats américains et canadiens, y compris les TUAC, ont fait connaître publiquement leurs positions de principe, s’opposant aux approches de « blâme imputé aux travailleurs » en matière de santé et de sécurité. Les positions de principe déclaraient : « Ces programmes et politiques ont un effet glaçant sur les travailleurs quand il s’agit de déclarer symptômes, accidents et maladies, et peuvent aboutir à laisser non traitées des problèmes sanitaires et sécuritaires, et perpétuer des risques qui n’auront pas été corrigés. De plus, ces programmes sont fréquemment appliqués unilatéralement par les employeurs, dressant les travailleurs entre eux et minant sournoisement les comités mixtes de santé et de sécurité en milieu de travail, ainsi que les efforts des syndicats pour régler les conditions de travail dangereuses par une action concertée. »
Afin de combattre les programmes SAC, les syndicats recommandent à leurs membres :
- D’utiliser leurs droits de négociation en matière de santé et de sécurité pour négocier l’interdiction des programmes de mesures incitatives;
- D’ébaucher des politiques et déclarations de principe contre les programmes SAC;
- D’informer les membres (ateliers, feuillets, brochures, boutons, etc.) sur les risques que représentent les SAC et les sources réelles d’accidents et de maladies, afin de réfuter les mythes sur les « travailleurs négligents », et
- D’exercer des pressions auprès du gouvernement afin d’améliorer les lois sur la santé et la sécurité et renforcer la législation existante.
Les syndicats encouragent leurs membres à se joindre aux comités sur la santé et la sécurité au travail pour :
- Exercer leur droit d’inspecter régulièrement le lieu de travail;
- Recommander la mise en place d’un programme de santé et de sécurité (se prévaloir du droit de contrôler le programme et de faire des recommandations);
- Exercer des pressions afin d’obtenir des cours de formation et de sensibilisation sur les risques pour tous les travailleurs; et
- Exercer des pressions pour des cours de formation agréée pour tous les membres du comité.
Les syndicats informent également les travailleurs et leurs représentants de :
- Déclarer tous les risques du lieu de travail;
- Déclarer les accidents et maladies;
- Refuser les travaux dangereux ou insalubres; et de refuser de participer aux « jeux de bingo » et autres « jeux » ayant trait à la sécurité, introduits par l’employeur.
NOTE DE LA RÉDACTION :
Nous tenons à remercier le Centre de santé et sécurité des travailleurs et travailleuses de l’Ontario pour cette publication.