Blogue politique : En matière de soins de longue durée, nous ne pouvons pas nous contenter de revenir à la « normale »

Toronto – 5 juin 2020 – Alors que les provinces commencent à lever les restrictions et que certains pans de l’économie amorcent une reprise des activités, beaucoup disent qu’après la COVID‑19, nous ne pouvons pas simplement revenir à la « normale ». Jagmeet Singh, le chef du NPD, a souligné que revenir à la normale était synonyme de travailleurs et de travailleuses sans congé de maladie payé, de familles qui ont du mal à s’en sortir, de personnes essentielles à notre santé et à notre sécurité incapables de joindre les deux bouts et d’un système de soins de santé privé de financement. « Nous devons faire mieux que la normale », a déclaré M. Singh.

La crise des soins de longue durée (SLD) est une situation qui démontre clairement que nous devons faire mieux que la normale. Les conditions sont devenues si mauvaises dans ce secteur que l’armée canadienne a été appelée à aider dans les centres de SLD en Ontario et au Québec. Le récent rapport de l’armée sur les conditions observées dans ces centres a contribué à mettre en évidence de graves problèmes dans notre système de soins de longue durée, mais ces problèmes existaient bien avant la pandémie de la COVID‑19. Pendant trop longtemps, les militant(e)s, les travailleur(euse)s et leurs syndicats ont tiré la sonnette d’alarme sur les graves lacunes des soins de longue durée, mais, dans la plupart des cas, leurs préoccupations sont tombées dans l’oreille d’un sourd.

Plus de 80 % des décès liés à la COVID‑19 au Canada sont liés à des éclosions dans des établissements de SLD, les établissements privés à but lucratif enregistrant quatre fois plus de décès que les centres à but non lucratif. Le passage, au fil du temps, à une privatisation croissante dans le secteur des SLD est l’une des principales causes de la crise à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui. Depuis la fin des années 1980 et le début des années 1990, les gouvernements ont ouvert le système à une plus grande privatisation, au point qu’aujourd’hui plus de 50 % du système canadien de SLD est géré par des organismes à but lucratif.

Un rapport du British Columbia Office of the Seniors Advocate a révélé qu’entre 2016 et 2018, les centres à but non lucratif ont consacré 59 % de leurs revenus aux soins directs aux résident(e)s, tandis que les centres à but lucratif ont consacré 49 % de leurs revenus à ces soins. Au cours de la même période, les centres à but lucratif ont généré 12 fois plus de bénéfices que les centres à but non lucratif, soit plus de 34,4 millions de dollars de bénéfices contre 2,8 millions de dollars pour les établissements à but non lucratif, qui ont dépensé en moyenne 10 000 dollars de plus en soins pour chaque résident(e). Les centres à but lucratif n’ont pas réussi à fournir plus de 200 000 heures de soins directs financés, tandis que les centres à but non lucratif ont dépassé les objectifs de soins directs en fournissant 80 000 heures de soins directs au-delà de ce pour quoi ils étaient financés par l’État.

Les établissements à but lucratif ont pour vocation de faire des bénéfices pour leurs actionnaires. Pire encore, sur les 35 personnes qui siègent au conseil d’administration des quatre plus grandes chaînes d’établissements de SLD à but lucratif au Canada, seules trois sont des professionnels de la santé certifiés. Les organismes à but lucratif ont traité les établissements de soins de longue durée comme un parc de logements, au lieu de se concentrer sur les soins, en partie parce que 40 % des directeur(trice)s sont des promoteurs immobiliers. Les établissements à but lucratif ont également eu un impact négatif sur les conditions de travail et la qualité du service, en mettant l’accent sur des gains d’efficacité comme l’augmentation du personnel occasionnel et à temps partiel et la sous-traitance de la livraison de nourriture et de l’entretien ménager. Plus important encore, les établissements à but lucratif sont constamment confrontés à un conflit entre l’investissement dans les soins aux résident(e)s ou l’augmentation des bénéfices des actionnaires, et ce sont les actionnaires qui gagnent constamment cette bataille.

Les organismes de SLD à but lucratif constituent également un puissant groupe de pression. En Ontario, l’ancien premier ministre conservateur Mike Harris est le président du conseil d’administration du plus grand groupe de SLD à but lucratif de la province. James Shlegal, PDG d’une chaîne d’établissements à but lucratif, est l’un des principaux membres du Système de gestion des incidents de la province pour les SLD. Le personnel conservateur et les allié(e)s de Doug Ford ont également participé récemment à des actions de pressions au nom de ces fournisseurs, en mettant l’accent sur la protection des profits.

Les gouvernements provinciaux ont été lents à réagir à la crise dans le secteur des SLD, sauf en Colombie-Britannique. Le gouvernement néo-démocrate de la Colombie-Britannique a agi rapidement dès le début des épidémies de la COVID‑19. Pour commencer, le gouvernement provincial a pris en charge l’exploitation de tous les centres. Il a exigé des employé(e)s qu’ils et elles travaillent sur un seul site et s’est engagé à ce que ces employé(e)s travaillent à temps plein. Il a également considérablement augmenté les salaires de nombreux travailleur(euse)s en garantissant que tous et toutes les employé(e)s seraient payé(e)s au taux standard de l’industrie syndiquée. Cela a permis à la province d’atténuer l’impact de la COVID‑19 dans les soins de longue durée. Pendant ce temps, le Québec et l’Ontario ont été lents à réagir et sont maintenant confrontés aux plus grandes épidémies du pays et au plus grand nombre de décès liés au virus.

Pendant des années, les militant(e)s, les travailleur(euse)s, les syndicats et les partis d’opposition ont soulevé les graves problèmes auxquels est confronté le secteur des SLD. Les bas salaires, le travail occasionnel et à temps partiel, et le peu d’avantages sociaux, voire aucun, ont obligé de nombreux et nombreuses employé(e)s des SLD à travailler dans plusieurs centres à la fois. Par ailleurs, le manque d’équipement de protection individuelle (ÉPI), de sécurité sur le lieu de travail et le contrôle insuffisant des infections ont tous contribué à la propagation de la COVID‑19 dans les centres de SLD. En Ontario, le NPD a présenté à plusieurs reprises des projets de loi d’initiative parlementaire visant à garantir un nombre minimum d’heures de soins dans les établissements, pour être ensuite rejetés par les gouvernements libéraux et conservateurs. De plus, le gouvernement de Doug Ford a presque complètement éliminé les inspections surprises des établissements.

Les soins de longue durée prodigués à nos personnes âgées ne devraient pas être entre les mains de profiteur(euse)s. « Nous devons en finir avec les installations privatisées et établir un cadre universel pour les soins aux personnes âgées », a récemment déclaré Jagmeet Singh. « Nous devons faire entrer les soins de longue durée dans le champ d’application de la loi canadienne sur la santé, les faire régir au niveau fédéral et supprimer le système privé dans son ensemble », a-t-il ajouté.

Les organismes à but lucratif et autres feront pression et se battront pour que le système reste tel qu’il est afin de pouvoir continuer à profiter des personnes âgées. Mais nous devons riposter et veiller à ce que le profit ne prenne jamais le pas sur la manière dont nous prenons soin de nos personnes âgées.