Absence d’un élément capital dans la stratégie de réduction de la pauvreté au Canada selon un chef syndical du pays

Paul Meinema
Président national des Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce du Canada (TUAC Canada)

Ottawa, 22 août 2018 – Nous qui formons l’un des syndicats les plus importants du Canada, c’est avec joie que nous recevions copie de la brochure du gouvernement fédéral contenant le détail de la stratégie nationale de réduction de la pauvreté, mais nous avons alors eu une mauvaise surprise et éprouvé une vraie déception.

En effet, comme nous allions le constater, il y manque un élément d’une importance primordiale quant à ce qu’il faudrait effectivement faire pour s’attaquer aux véritables facteurs qui sont à l’origine de l’accentuation des inégalités et pour le régler le problème.

Dans le titre du rapport, qui, précisément, s’intitule Une chance pour tous : la première Stratégie canadienne de réduction de la pauvreté, et dans le libellé de l’intention déclarée qu’il contient, c’est-à-dire celle de contribuer à l’amélioration de la situation en ce qui concerne la dignité des gens, les possibilités s’offrant à eux, l’intégration de toutes et de tous, leur sécurité à tous les points de vue et les résultats qu’ils espèreraient obtenir d’une manière durable dans l’existence, on retrouve justement cet idéalisme qui, de nos jours, fait cruellement défaut dans l’attitude de l’État, dans les principes de son intervention et sur la scène politique en général.

Qui plus est, il ne fait nul doute que les programmes sociaux et les subventions de l’État peuvent aider considérablement à réduire la pauvreté.

Toutefois, quand il s’agirait de proposer au grand jour des solutions d’ordre structurel, le document déclarant donc, en substance, que toutes et tous devraient avoir une chance de réussir dans la vie ne reflèterait pas le courage pourtant voulu sur le plan moral dans cette perspective; il néglige surtout de faire remarquer que les organisations syndicales ont un rôle majeur à jouer (rôle qu’elles assument effectivement depuis toujours) en matière de gages de stabilité économique pour les familles et de réduction de l’écart entre la classe des gens très riches et aisés d’une part et, d’autre part, le reste de la population du pays.

Bien que, dans ce document, on prétende avoir discuté avec « les syndicats et les organisations ouvrières » en le rédigeant, on n’y fait nulle part mention de la corrélation, qu’on a pourtant déjà démontrée, entre la diminution des inégalités et la hausse du taux de syndicalisation (soit, dans un cadre défini, comme un pays donné, la proportion des travailleuses et travailleurs qui font partie d’un syndicat).

Dans les pays scandinaves, on l’a manifestement bel et bien compris, leurs taux de syndicalisation étant parmi les plus élevés du monde tandis que les proportions de gens pauvres y sont parmi les plus faibles au monde.

Le rapport qui a pour titre Une chance pour tous : la première Stratégie canadienne de réduction de la pauvreté précise que l’écart salarial entre les deux sexes constitue l’un des problèmes qu’il faut chercher à régler en vue de réduire la pauvreté, mais, dans ses 109 pages de texte et de tableaux, il n’est écrit nulle part qu’en moyenne, les travailleuses syndiquées gagnent 6,89 $ l’heure de plus que celles qui ne le sont pas ni que, dans les milieux de travail dont le personnel n’est membre d’aucun syndicat, l’écart salarial défavorable aux femmes par rapport aux hommes est plus grand de 13 % que dans ceux dont le personnel est syndiqué.

On pourrait avoir des raisons de se réjouir en remarquant les nombreuses similitudes entre ce rapport et celui de l’Organisation des Nations Unies (ONU) qui est intitulé Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030 ainsi que la volonté déclarée du gouvernement fédéral, dans le document qu’il vient ainsi de produire, de chercher à réduire la pauvreté dans une optique de reconnaissance et de respect des droits de la personne, mais ce dernier ne précise pas si, justement dans cette optique (ou dans ce qu’on y entend par droits de la personne), entre autres droits, on reconnaît véritablement aux travailleuses et travailleurs celui de se syndiquer.

Si, sur ce point précis, nous n’avons toujours guère de certitude, c’est que, depuis longtemps, le gouvernement fédéral se montre bien muet quant au fait que les travailleuses et les travailleurs agricoles qui se trouvent en Ontario ne bénéficient pas de la protection de la Loi sur les relations de travail et au jugement que l’agence onusienne du nom de l’Organisation internationale du Travail (OIT) a prononcé en 2010 comme quoi l’État commettait une violation flagrante des droits de la personne aux yeux de l’ONU en les excluant du cadre d’application de la loi en question.

À l’époque actuelle, la réduction de la pauvreté représente l’une des grandes causes à défendre et l’une des difficultés importantes à surmonter. Pour y arriver, il faudra faire preuve d’un fort dynamisme et, s’il a sincèrement la volonté de faire tout le nécessaire dans ce but, le gouvernement fédéral doit reconnaître à fond que c’est notamment par la négociation collective qu’on pourra régler le problème dont il s’agit là.

En outre, il faut absolument rappeler aux provinces qu’elles ont un rôle important à assumer relativement à la réputation et à la crédibilité de notre pays à l’échelon mondial quant aux questions telles que celles qui relèvent des droits de la personne. De plus, en ce qui a trait à l’entreprise privée et aux autres organisations, le gouvernement fédéral devrait être tenu de contribuer activement à les inciter à bien agir en ne leur adjugeant des contrats qu’à condition de faire preuve d’une attitude réfléchie et sérieuse et d’une ferme volonté d’aider au développement durable.

Toute société qui s’est fait prendre à commettre au moins une action antisyndicale ou à faire d’autres gestes irréfléchis et insensés (dans la mesure où ceux-ci nuiraient considérablement aux chances de réussite des stratégies de réduction de la pauvreté) devrait se voir automatiquement exclure des appels d’offres adressés par l’État et de ses programmes de subvention.

Pour ce qui est de l’idée de la création du Comité consultatif national sur la pauvreté, celle-ci est excellente et représenterait le meilleur moyen de réexaminer au besoin les stratégies qui ont été élaborées jusqu’à présent et de les réviser à condition, bien entendu, qu’à titre permanent, il y ait au sein de celui-ci une place qui soit réservée à une personne chargée de représenter les travailleuses et les travailleurs ainsi que leurs syndicats respectifs.

Paul Meinema est le président national du syndicat des Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce du Canada (les TUAC Canada), organisation représentant plus d’un quart de million de personnes qui travaillent dans tous les domaines de la production et de la vente des aliments ainsi que dans d’autres secteurs d’une importance capitale de l’économie canadienne tels que ceux des soins de santé et de la sécurité.